Un rapport de 1694, rédigé par Mathieu De Goutin, souligne que Pierre Terriot, « l’un des juges commis par M. de Champigny audit lieu des Mines », en fut « comme le fondateur ayant avancé presque tous ceux qui y sont venus s’habiter ».

Quant à Pierre Mellanson, mis à part le fait qu’un hameau de cette région porte toujours le nom de Melanson, aucun document ne corrobore la tradition voulant qu’il fut fondateur des Mines. Quoi qu’il en soit, en 1701, dans un jugement rendu par le gouverneur Mombéton de Brouillan, ce Mellanson est dit « sieur de Laverdure » et « capitaine de la première Compagnie de Milice des Mines » (voir recensement 1686) , poste prestigieux qu’il devait occuper depuis 1686, car, au recensement de cette année-là, il se trouve chez lui pas moins de douze fusils. Ce même recensement a sans doute contribué à la tradition : Pierre Mellanson possédait alors cinquante arpents en labour, soit trois fois plus que Pierre Terriot. Sachant ce qu’il en coûtait de travail pour arracher chaque arpent de terre à la mer, peu s’en fallait pour conclure que Pierre Mellanson devait avoir été le premier à s’établir à la Grand’Prée. (1)

Toujours selon la tradition, Pierre Terriot serait pour sa part le fondateur de l’établissement connu plus tard sous le nom de rivière aux Canards.

Début des Mines et de la Grand Prée 

Pierre Terriot et Pierre Mellanson auraient été les initiateurs du mouvement migratoire de Port-Royal vers les Mines au début de la décennie 1680. C’est ce qu’indique le registre de la mission de Beaubassin20 du 25 juin 1684, date à laquelle le père Moireau baptisa plusieurs enfants des Mines dont certains nés deux ans auparavant. Ce mouvement sera si bien suivi que, dès le recensement de 1701, les Mines apparaît comme l’établissement le plus populeux d’Acadie, devant Port-Royal son chef-lieu, et ce, après seulement vingt ans de colonisation. (1)

S’il y avait vers 1685 deux établissements plus ou moins distincts aux Mines, soit à la Grand’Prée, sous l’impulsion de Pierre Mellanson,et à la rivière des Mines et non à la riviere des Canards, sous celle de Pierre Terriot,ce ne pouvait être que par nécessité de distribuer équitablement les marais plutôt qu’à cause de disputes entre les deux pionniers comme a prétendue certain rechercheur (2).

Bref, il est peu probable qu’il y ait eu dès sa fondation deux établissements distincts aux Mines. Cela irait contre la logique habituelle des établissements où les colons sont interdépendants, surtout dans un mode d’exploitation agricole qui demande beaucoup de main-d’oeuvre dans un laps de temps très concentré. De plus, les premiers habitants recensés spécifiquement à la rivière aux Canards en 1701 ne forment que sept familles auxquelles on peut ajouter les trois de la rivière de la Vieille-Habitation (aujourd’hui Habitant). À supposer qu’on ajoute à celles-ci quelques-unes des neuf familles recensées à la rivière des Mines, il y en aurait peut-être une quinzaine pour constituer dès lors et depuis une décennie la paroisse Saint-Joseph de la rivière aux Canards, séparée de celle de la Grand’Prée. (1)

Le bref compte rendu que Mgr de Saint-Vallier a laissé de sa visite aux Mines à l’été 1686 sugère seulement un établisement. Tout en faisant vaguement référence à quelques litiges qu’il s’est appliqué à démêler entre certains habitants – tout comme il le fit à Beaubassin – il ne fait nullement référence à la possibilité qu’il y ait eu deux établissements distincts.

Il écrit que les habitants le « presserent en partant de leur donner un Prêtre, et ils […] promirent non seulement de le nourrir, mais encore de lui bâtir une Église et un Presbytère dans une Isle appartenante à l’un d’eux qui […] l’offrit à ce dessein, ou toute entiere, ou en partie, selon qu’on en auroit besoin. »(3) Les Miniers étaient donc unanimes dans leur requête pour obtenir un prêtre et dans leur engagement à le loger et à construire une église.

Après sa visite, le futur évêque envoya aux Mines une lettre pastorale dans laquelle il exhorte les habitants à construire l’église promise31. On ne sait à quelle date précise Saint-Vallier envoya cette lettre, probablement dès son retour à Québec où l’attendait une lettre du ministre Colbert octroyant des fonds importants pour encourager les habitants de Nouvelle-France à construire des églises32. C’est ce que fit précisément Saint-Vallier comme le montre l’extrait suivant de sa lettre circulaire aux habitants des Mines :

[…] nous vous promettons de vous donner une petite somme pour acheter les choses qui seront nécessaires pour le bâtiment, et que vous ne pourrez trouver dans vos habitations, en outre nous vous promettons de fournir les vases sacrés et ornements nécessaires, vous assurant que j’augmenterai mes libéralités par l’assurance que j’aurai de la diligence que vous apporterez à travailler vous et vos enfants à la construction de cette église(4).

La requête fut entendue et l’édifice rapidement construit, puisqu’un recensement de 1687 ou 1688 indique qu’il se trouve aux Mines une église et un missionnaire34. Au même moment, s’ouvrirent les registres de Saint-Charles comme le constata l’historien américain Gilmary Shea en 1887 lorsqu’il les découvrit à l’église Saint-Gabriel d’Iberville en Louisiane : il rapporta alors à Mgr O’Brien, rchevêque d’Halifax, qu’ils commençaient en 1687 et se terminaient en 1755. (5)

En 1704, lors d’un raid britannique, cette église de Grand’Prée dédiée à Saint-Charles a été pillée, peut-être même incendiée (6). À la suite de ce pillage, la chapelle construite à l’origine dans une colonie de cent soixante habitants(7) a sûrement été agrandie, puisqu’en 1755 l’église de Grand’Prée put accueillir quatre cent quinze Acadiens venus entendre la proclamation ordonnant leur déportation.

Jean-François Buisson de Saint-Cosme, un jeune prêtre canadien, arriva aux Mines en 1692 (7). Le fait qu’il y préleva la dîme dès l’année suivante (8) indique qu’il dut en être le premier missionnaire résidant, même s’il se trouvait un missionnaire aux Mines au recensement de 1687 ou 1688. Que l’église ait été érigée en 1687, et le presbytère entre cette date et 1692, correspond au développement typique des missions se transformant graduellement en véritables paroisses au fur et à mesure que les habitants réussissent à réunir les fonds, les matériaux et la main-d’oeuvre nécessaires à ces ouvrages formant bientôt le coeur de leur communauté religieuse et villageoise. L’église, le presbytère et le cimetière auraient été situés sur le site actuel du Lieu historique national de Grand-Pré en Nouvelle-Écosse.

Ces bâtiments et ceux les entourant, qui formaient le village de Grand’Prée, n’auraient pas été incendiés pendant le Grand dérangement et auraient même été utilisés par les premiers colons américains arrivés en 1760 (10).

Dans les lettres patentes du 8 août 1698 créant la paroisse de la Sainte-Famille de Pisiquid, Saint-Vallier réfère pour la première fois à « laditte terre des Mines » où il aurait créé une paroisse antérieurement. C’est donc quelque part entre le 2 août 1688, jour de son débarquement à Québec comme évêque, et le 8 août 1698 que Saint-Vallier érigea la paroisse Saint-Charles des Mines. Comme suite à sa mission, le prêtre présent au recensement de 1687 ou 1688 fit probablement un rapport favorable au nouvel évêque qui, dès son retour de France en août 1688, dut envoyer aux habitants des Mines le mandement créant leur paroisse.

il est probable qu’il y ait eu une chapelle à la rivière aux Canards et, qu’à l’instar de Pisiquid, sa construction ait été motivée non seulement par l’éloignement, mais aussi par une dissension parmi les paroissiens : une chicane de bancs d’église.

En 1702, Jean Terriot, l’habitant de la rivière aux Canards, et Jacques LeBlanc, de la rivière des Mines, sont marguilliers de la paroisse Saint-Charles. Ils intentent un procès notamment contre Pierre Mellanson afin qu’il restitue le banc acheté – non seulement que loué pour une année comme le voulait la coutume selon la prétention des demandeurs – l’année précédente à son gendre Allain Bugeauld, le marguillier sortant (11).

C’est peut-être à la suite de cette dispute privant les habitants notables des extrémités ouest et nord de la paroisse de bonnes places à l’église – le gouverneur de Brouillan trancha en faveur de Mellanson et Bugeaud – que les habitants du nord de la rivière des Mines et des rivières aux Canards et de la Vieille-Habitation se rassemblèrent et décidèrent de construire une deuxième chapelle que devait aussi justifier l’accroissement de la population.

D’après la tradition, c’est effectivement au nord de la rivière des Mines et au sud de la rivière aux Canards que s’élevait l’église Saint-Joseph et ses dépendances sur un site aujourd’hui occupé par le cimetière de Chipmans Corner. Casgrain a écrit que cette église tout comme celle de Grand’Prée, était décorée à l’intérieur de belles boiseries de chêne « sculptées avec goût »(12).

__________________________________________________________________________________________________________

(1) SCHEC, Études d’histoire religieuse, 70 (2004), 59-79 – L’Acadie vers 1750 Essai de chronologie des paroisses
acadiennes du bassin des Mines (Minas Basin, NS) avant le Grand dérangement par L’Acadie vers 1750 par Stéphan Bujold -Juin 2004

(2) Sur la discorde entre Terriot et Mellanson voir RAMEAU de SAINT-PÈRE, Une colonie féodale…, tome I, p. 185.

(3) Mgr de SAINT-VALLIER, Estat présent de l’Église de la Nouvelle-France, Québec, Augustin Côté et Cie, 1856 (réédition de l’original de 1688), p. 37.

(4) « Lettre circulaire aux habitants des Mines » in Henri TÊTU et Charles-Octave GAGNON, éd., Mandements, lettres pastorales…, p. 183.

(5) Placide GAUDET, « L’église Saint-Charles de la Grand-Prée » in Le Grand dérangement. Sur qui retombe la responsabilité de l’Expulsion des Acadiens, Ottawa,Ottawa Printing Co. Limited, 1922, p. 51-52, citant des lettre que lui adressa Mgr O’Brien
en 1893 et 1895. De nos jours, les registres subsistent pour les années 1707 à 1748.

(6) Du 30 novembre 1705, ANF, Col., C11D, vol. 5, fol. 170.

(7) 110 Acadiens et 50 Micmacs selon le recensement de 1687 ou 1688 in William Inglis MORSE, Acadiensia Nova, p. 143.(voir recensencement 1686)

(8) Noël BAILLARGEON, Le Séminaire de Québec…, p. 354-355 ; et Céline DUPRÉ (1969), « Buisson de Saint-Cosme, Jean-François », DBC, vol. II, 1969, p. 115.

(9) « Le Ministre à l’Évêque de Québec, le 16 avril 1695 », Collection de manuscrits relatifs à l’histoire de la Nouvelle-France…, Québec, APQ, vol. II, 1884, p. 179, aussi « Le Ministre à l’Évêque de Québec, le 8 mai 1694 », Ibid., p. 155-156.

(10) Placide GAUDET, « L’église Saint-Charles de… », p. 49-50 citant un article du Kentville Chronicle de 1885.

(11) ANF, Col., série C11D, vol. 4, fol. 154 et 175 et ss. Sur la querelle des bancs, voir aussi Stéphan BUJOLD, « Allain Bugeauld, chirurgien et notaire royal : essai de biographie d’un des premiers bourgeois et notables de la Grand’Prée des Mines en Acadie
(1672 – vers 1708) », CSHA, 34, 2 (2003), p. 63-64.

(12) H. R. CASGRAIN, Une seconde Acadie, Québec, L.-J. Demers et frères, 1894, p. 120.

Au début des années 1680, peut-être plus tôt, le tailleur Pierre Melanson dit Laverdure, son épouse Marguerite Mius d’Entremont et leurs enfants quittent Port-Royal pour fonder Grand-Pré. Pierre, d’origine écossaise, était le fils aîné de Charles Melanson. Marguerite, d’origine normande, était la fille de Philippe Mius d’Entremont, baron de Pobomcoup. Bientôt, d’autres familles les suivirent et une communauté active et prospère se développa le long des rivières et des rives du bassin des Mines. Au début du xviiie siècle, les Mines était le plus grand centre de population en Acadie, comptant 2450 habitants en 1750, dont 1350 habitants uniquement à Grand-Pré, ce qui en faisait la ville la plus importante.